[...] chez les poètes grecs du VIe siècle, le discours vrai - au sens fort et valorisé du mot - le discours vrai pour lequel on avait respect et terreur, celui auquel il fallait bien se soumettre, parce qu'il régnait, c'était le discours qui disait la justice et attribuait à chacun sa part; c'était le discours qui, prophétisant l'avenir, non seulement annonçait ce qui allait se passer, mais contribuait à sa réalisation, emportait avec soi l'adhésion des hommes et se tramait [se cosia/conspirava] ainsi avec le destin. Or voilà qu'un siècle plus tard la vérité la plus haute ne résidait plus déjà dans ce qu'était le discours ou dans ce qu'il faisait, elle résidait en ce qu'il disait: un jour est venu où la vérité s'est déplacée de l'acte ritualisé, efficace, et juste, d'énonciation, vers l'énnoncé lui-même: vers son sens, sa forme, son objet, son rapport à sa référence. Entre Hésiode et Platon un certain partage s'est établi, séparant le discours vrai et le discours précieux et désirable, puisque ce n'est plus le discours lié à l'exercice du pouvoir. Le sophiste est chassé.
Foucault, L'ordre du discours